Jean Guidet
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Ceci est une terre sacrée, vieille de 300 millions
d’années. Une terre qui a connu de nombreuses
transformations. Mille fois les arbres sont morts et
mille fois ils ont repoussé. C’est sur ce terreau fer-
tile d’arbres morts, de troncs vermoulus, acculés
toujours plus loin entre les différentes strates
organiques que nos vies ont poussé. Ce sont des
arbres fossiles sur lesquels nous marchons aujour-
d’hui, des sédiments des temps anciens. De
grands arbres ont grandi ici, lorsque la terre
ressemblait à un large marais sans relief et sans
contour. Un large cimetière où arbres et animaux
marins, crustacés, et coquillages se partageaient
leur dernière sépulture. On les retrouve parfois
acoquinés au fond de la tourbière et ça procure
une petite émotion. La force des éboulis, le temps
compté en millions d’années a transformé le bois,
tout au fond. Et ce morceau d’ancienne forêt qui a
poussé dans les marécages et que je tiens entre les
mains a croisé des dinosaures. Et il nous apparaît
aujourd’hui. J’ai l’impression de tenir entre mes
doigts un morceau d’Histoire. Pas la mienne. Non
plus celle de la région ou du pays. Mais celle de
l’humanité. Et dans mes mains, j’ai son coeur qui
palpite.
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Choeur de la mine
« Qui je suis, as-tu dit ? Regarde la poussière
Qui couvre ces lambeaux et qui noircit mon front.
L'hiver, je te réchauffe, et la nuit, je t'éclaire ;
Je suis ton pionnier, civilisation ! ...
Je fais franchir les mers et parcourir le monde
à des monstres d'airain portant ton pavillon ;
Je suis lumière et feu, je suis flamme féconde
Saluez le Dieu noir car je suis le Charbon. »
C’est au sein de l’ancienne forêt que nous
avançons tous les jours, à palper ses artères, à
observer au plus près les différentes lignes de
démarcation, la couleur de sa peau, alternant du
beige clair au noir foncé, à sentir son haleine satu-
rée, à se faufiler entre ses veines, à sauter parfois
sur son pouls hypertendu. Chaque matin je
plonge jusqu’aux orteils et chaque soir, je suis sur-
pris d’en ressortir vivant. Quand on est dans l’as-
censeur qui nous descend à plus de 300 mètres
dans les entrailles de la matrice, la musette autour
du cou et la lampe au front, c’est l’excitation, la
testostérone car la terre nous avale et que nous ne
sommes plus des hommes. Nous sommes du char-
bon parmi le charbon. De la terre parmi la terre.
Du fossile à venir dans un monde déja fossilisé. Et
ça gronde en dessous, ça vibre et il fait chaud à
en crever. C’est pas naturel, comme un accouche-
ment à rebours. Alors je joue pas trop au malin au
fond. La moindre erreur peut-être fatale et on veut
pas faire d’orphelins.
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